Interview d’Airelle Besson 

« Une histoire de son, d’écoute circulaire, à quatre »


Lors du festival La Folle Journée à Nantes, qui s’est déroulé du 1er au 5 février, nous avons eu la chance de rencontrer Airelle Besson, trompettiste et compositrice de renommée internationale, classée dans la catégorie jazz. Régulièrement invitée par d’autres artistes sur leurs albums comme le groupe Metronomy, pour jouer ou arranger, elle reçoit également des commandes de compositions de différents orchestres.

Illustration par Maya Scotton

Jouer à La Folle Journée, festival de musique classique, une opportunité ?

Oui c’est vraiment particulier pour nous, on n’a pas l’habitude de jouer dans des festivals de musique classique et en même temps on se sent vachement privilégiés parce qu’il y a très peu de musiciens de jazz cette année. Je me sens très proche parce que tout mon bagage c’est le classique, je suis née dans des conservatoires, avec le solfège, l’harmonie, le contrepoint, j’étais violoniste pendant 15 ans, parallèlement à la trompette et j’ai beaucoup joué en orchestre, donc c’est vraiment une musique qui m’est très chère. 

En fait je dois être un peu à part dans le jazz, parce que je ne fais pas du jazz conventionnel, du swing ou du be-bop, c’est beaucoup plus sur le son et je pense que les suites harmoniques que j’utilise peuvent faire penser à la musique classique. Il y a évidemment beaucoup d’improvisation et c’est très mélodique en fait, ce qui m’attire toujours c’est la mélodie. Donc finalement on a presque notre place ici, je m’y sens super bien ! Et puis Benjamin (Moussay, claviers) étudie beaucoup la musique classique, et souvent quand on est en balances il joue un prélude ou une fugue de Bach, donc c’est vraiment notre langage. Fabrice (Moreau, batterie) lui, écoute aussi énormément de classique et de contemporain.

C’est impressionnant aussi de voir la programmation, il n’y a que des artistes qu’on entend à la radio ou sur les disques mais là ils sont en vrai, wow ! On se dit : « Mais qu’est ce qu’on fait là nous ? » C’est une ouverture d’esprit formidable de la part de René Martin (créateur du festival). En fait de ce que j’ai compris, il a adoré notre album, Try!, il a écrit à mon agent, en disant qu’il aimerait nous produire. Alors on a joué au festival de La Roque-d’Anthéron en juillet, et ça c’est pareil, c’est le festival mythique que j’écoute à la radio, où on entend les cigales, donc quand il me dit ça, « Mais LE festival de piano international ? Nous ?! Ah ouais ! » Il nous a ensuite programmé à La Folle Journée de Varsovie, c’était un super beau moment aussi, puis il m’a dit : « Bon tu vas venir à Nantes, j’ai vraiment envie que tu y joues ! » Voilà comment ça se déroule, par chance et hasard. Comme quoi c’est vraiment la musique qui prime, on est là pour ça et c’est le plus important, son oreille a accroché sur notre musique, pour moi c’est ça l’essence.

Comment composez-vous, avec votre trompette ?

Non pas du tout, et ça serait ennuyeux ! En fait ça peut venir à n’importe quel moment de la journée, n’importe où. Il y a plusieurs processus, des fois c’est une mélodie qui arrive malgré moi, par exemple, j’ai vu le film La Môme, qui m’a beaucoup bouleversée, et en sortant une mélodie m’est venue, parce que je sentais que ça m’avait bien touchée. Je l’ai enregistrée et c’est devenu un morceau. Ou alors on est à la table, il faut composer quelque chose, ça peut venir, ou pas, ça peut prendre beaucoup plus de temps. Mais pour moi souvent ça vient n’importe quand. Par exemple le morceau Try!, c’est venu complètement par hasard à l’aéroport de Shanghai. J’entendais les annonces pour annoncer les embarquements, et une mélodie émanait de ça. Je l’ai enregistré aussi, ça m’a donné envie de mettre des paroles, ça fait (chante) « try to get the best of everyone ». Et donc j’étais là en train de patienter, puis c’est devenu un morceau, étonnement.

Patitoune, c’est un morceau que je chantais pour bercer ma fille, quand j’étais une très très jeune maman, et cet été là, il y avait sa cousine qui est beaucoup plus grande, qui m’a dit : « Mais tu sais Airelle, j’ai eu ton morceau pendant tout l’été dans la tête, ça arrête pas. » donc je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse quelque chose, alors que pour moi c’était un truc tout bête. Donc on l’a passé à la moulinette avec les copains, c’est parti d’une berceuse à un morceau presque rock. Et pour l’anecdote, on m’a souvent dit qu’il ressemble à un morceau de Miles Davis, Jean-Pierre. Déjà la comparaison, wow ! Et c’est un journaliste qui m’a appris que ce morceau, il le chantait à son fils. Donc je comprends la ressemblance, parce que ce sont des petites mélodies assez simples, c’est drôle.

Pourquoi cette disposition sur scène ?

Je suis beaucoup dans le partage, le collectif. J’aime l’interaction, le fait que ça circule entre nous, en ça le jazz est très riche, par rapport à la musique classique. Il y a une partition en jazz certes, mais improviser sur les accords c’est là où il y a vraiment une ouverture, ce qui fait que chaque concert est différent, selon l’ambiance, la salle, le public. 

Au niveau de la disposition ça ne me viendrait jamais à l’esprit de me mettre devant, d’être « moi je », c’est impossible, on partage les choses, d’ailleurs pour tout ce qu’on fait de manière générale, j’écoute beaucoup l’avis de Benjamin, Fabrice et Isabel (Sörling, chant) avant de prendre une décision. Et souvent je garde ce qu’ils disent eux, je trouve que c’est toujours plus intéressant que ce que je pense moi. C’est assez démocratique et j’aime bien comme ça.

C’est trop cool aussi de se voir quand on est en concert, c’est tellement important, j’adore cette disposition, on partage vraiment quelque chose, c’est une histoire de son, d’écoute circulaire, à quatre.

Un conseil pour des étudiants en musique ?

Persévérez ! Continuez ! Vive la musique, surtout dans le monde dans lequel on vit, la musique c’est important je crois, pour tout le monde, c’est une langue universelle, c’est ce que je ressens. J’ai la chance d’être écoutée dans le monde entier, et je suis totalement émerveillée de savoir ça. L’avantage du streaming c’est que tout le monde peut écouter, alors quand je vois Emirats Arabes, Philippines ou Afrique du Sud, wow, c’est vraiment énorme !

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