Éloge de l’à peu près

De l’importance de la musique pour l’esprit de communauté


Que ce soit au bar, au bord du lit avant de dormir ou pour un événement sportif, nous avons, chaque jour de nos vies, l’occasion de chanter et donc de faire de la musique. Toutes ces situations sont des moments propices au partage d’émotions aussi variées que la joie ou la colère. La musique nous transporte avec les autres, elle nous fait oublier notre propre condition d’individu.

Illustration par Maya Scotton

La musique comme édifice commun 

Il est impossible de faire de la musique seul. Non pas que vous ne pouvez pas jouer d’un instrument chez vous ou chanter dans votre douche, mais même à travers la moindre manifestation musicale, la culture dans laquelle vous baignez s’exprime à travers vous. Le stock d’expérience musicale acquis vous relie inévitablement à tous ceux qui ont contribué dans le passé comme dans le présent à la constitution et à l’assimilation de ce stock. 

Vous n’êtes donc jamais musicalement seul, et toutes les chansons paillardes possibles portent en elles un historique parfois fort qui se transmet de génération en génération. Mais il n’y a pas que ces chansons, tout votre répertoire, du plus classique au plus « profane », est le symbole d’une culture et d’une communauté. L’important ici n’est pas tant de savoir si ce que vous chantez avec vos proches est une œuvre d’art, mais plutôt de savoir si cette chanson résonne entre vous tous, si elle crée une résonance particulière, une harmonie communautaire qui va au-delà du langage. Car à travers vous, et tous ceux avec qui vous chantez, parle la mémoire collective de toute votre culture. Vous êtes un maillon essentiel de la perpétuation et de la construction de cette histoire culturelle.

Pour les chansons populaires que l’on entonne tard le soir, souvent alcoolisé, la justesse et l’importance du geste ne semblent pas capitales. Pourtant il se joue ici, comme dans tout contexte musical non solitaire, un événement majeur. Nous faisons l’expérience du groupe, de l’autre que soi, qui nous transporte ailleurs qu’en nous-même.

Plus cet événement est répété et prend forme dans la vie quotidienne, plus se forme en tous, l’esprit de communauté, c’est-à-dire le sentiment d’appartenir à plus grand que soi. En faisant musique ensemble, nous devenons plus qu’une multiplicité de sons. Avec l’autre, nous devenons une harmonie.

Le mythe du chanteur né ou la peur de chanter faux

Une objection directe à cette théorie, est que si on ne sait pas chanter ni jouer d’aucun instrument, il est impossible d’aller plus loin que la berceuse pour nourrisson ou la danse du limousin car personne ne voudrait entendre quelqu’un chanter faux. Impossible dès lors de faire harmonie avec les autres. Mais je crois sincèrement que ce raisonnement est une erreur que font beaucoup de non-musiciens ainsi que des musiciens amateurs. Personne ne naît chanteur, et personne ne naît avec des prédispositions pour chanter juste. Certains seront plus rapides que d’autres mais nous avons tous chanté faux dans notre vie. Chacun possède une capacité différente à chanter grave ou aigu et une voix particulière mais pour ce qui est de chanter juste, tout le monde en est capable. 

Mais si nous savons maintenant que chacun peut chanter juste, encore faut-il apprendre. Il faudrait donc que tous ceux qui veulent appartenir à un groupe ou une communauté passent par des cours de chant ou le conservatoire ? Évidemment que non, la réponse semble se trouver ailleurs, dans le groupe-même. Une foule qui entonne un chant par exemple a tendance à chanter juste, signe que si chacun des membres, perdu dans la masse, chante à peu près juste, l’ensemble s’équilibre alors en faisant une sorte de moyenne atteignant la note voulue.

Car un groupe se constitue nécessairement d’éléments hétéroclytes qui n’ont pas tous les mêmes qualités. La force d’un groupe, c’est de permettre aux éléments en difficulté de se reposer sur les experts pour progresser. 

Un exemple assez parlant est la chorale, cet ensemble de chanteurs amateurs pour la plupart. Elle est un lieu où la seule bonne volonté et la présence suffisent à participer à l’entreprise. Celles et ceux qui connaissent déjà la mélodie ou qui savent lire une partition chantent et entraînent, avec eux, tous ceux qui hésitent ou ne savent pas. Il y a une entraide souvent inconsciente qui, à force de travail, amène à des résultats magnifiques alors même que certains n’étaient pas capables au départ de chanter une note.

L’à peu près au service des autres

Il est donc possible, à défaut de chanter juste, de chanter à peu près juste avec les autres. Ce moment, s’il est répété avec du monde et cela régulièrement, permet non seulement une amélioration des qualités de chanteur y compris ceux qui chantent comme une casserole, mais aussi de bâtir un ensemble commun, un lieu où l’on peut s’oublier innocemment au service de la musique. Le chant possède cette puissance de traverser et de transcender l’humain.

Osons dès lors l’à peu près en sortant d’un paradigme de perfection. Il n’y a pas de bonne manière de faire de la musique. Alors, que ceux qui savent chanter soient indulgents et pédagogues, que ceux qui ne sont pas à l’aise persévèrent, s’accrochent et ne perdent pas de vue que les plus grands maîtres ont commencé comme eux : un peu perdus et perplexes quant à leur capacité.

Il est nécessaire et vital de renouer avec les autres en re-créant un groupe, une communauté capable d’agir plus solidairement que nous le faisons, capable d’écouter ce que donne l’ensemble des multitudes individuelles, capable de comprendre que l’intérêt particulier ne prime pas sur celui des autres.

La musique est un outil précieux et unique qui nous aide à bâtir un ensemble commun, à faire abstraction des différences pour parvenir à plus grand que soi. Dans le moment musical comme moment communautaire il n’y a pas de juste ou de vrai, il n’y a que de l’ensemble. Soyons faux ensemble !

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