TÉMOIGNAGE D’UN BLOCAGE

Blocage du périphérique nord et la répression qui s’en est suivie


Avant l’aube le mardi 14 mars 2023, plusieurs dizaines de militants étudiants et travailleurs se retrouvent au pôle étudiant du campus Tertre. Le but de ce rendez-vous est d’effectuer un blocage économique pour paralyser l’accès à Nantes. L’action se présente comme un acte de désobéissance civile qui s’inscrit dans un mouvement de contestation face à une crise économique, sociale et politique.

Collage par Maya Scotton

La mise en place

Chacun arrive petit à petit dans la nuit. Une voiture de police se profile déjà, ses occupants en sortent et entourent une poignée d’étudiants qui collent des affiches. Ils les rappellent à l’ordre puis s’en vont. En attendant les derniers retardataires, les consignes sont données : le parcours, que faire, quelques conseils ou suggestions. De bonne humeur le cortège part en longeant l’Erdre afin que le camion de police ne le suive pas. En arrivant dans les quartiers résidentiels, la récolte du matériel (poubelles, palettes) commence le long du chemin. Nous sommes assez pour ralentir la circulation, les voitures ne rechignent pas trop et avancent doucement.

Le cortège arrive à Porte de la Chapelle, descend la voie d’accélération et se faufile entre les voitures. Les plus braves d’entre nous forcent les voitures à ralentir avec des obstacles : des poubelles, enflammées pour certaines. L’installation se fait rapidement, le matériel prend feu, les voies sont bloquées. Il est question de mettre en place un barrage filtrant, tout d’abord pour les urgences. La décision est prise suite à un vote à main levée. Cela permet également un blocage plus serein : lorsque la tension chez les automobilistes monte, nous les laissons partir avant qu’elle n’éclate. Dans les voitures bloquées, les réactions sont partagées. Certaines montrent un agacement ou un soutien subtil, d’autres s’agacent fortement, mais beaucoup encouragent la lutte. Les militants discutent avec les conducteurs. Lorsque le matériel vient à manquer, de petites équipes se forment pour aller en chercher. La police nous interrompt lorsque nous revenons avec les nouvelles poubelles, mais ils ne sont pas assez pour nous empêcher de passer. Ils nous demandent de laisser passer une femme qui accouche, nous acceptons volontiers et ils l’escortent à moto.

Le départ des lieux

Alors que les forces de l’ordre se contentent de nous observer de loin, étant minoritaires numériquement, le blocage tient bon. L’ambiance est joyeuse : musique, chants, discussions. La parole est partagée, les décisions sont votées à main levée. Après environ une heure et demie de blocage et deux missions pour aller récupérer du matériel à brûler, le nombre de policiers augmente largement. Ils restent au loin, mais se rapprochent tout doucement. Nous prenons la décision de nous en aller après s’être concertés sur les méthodes de retrait : une voie est déjà vide, nous en débloquons deux et bloquons la dernière pour ralentir les policiers. Dans le même but, des obstacles de toutes sortes sont déposés sur la route (cailloux, panneaux, grilles). Nous marchons tous en ligne en nous tenant les mains pour faire un groupe, mais rapidement nous prenons un petit chemin le long du périphérique et sommes les uns derrière les autres. Toujours solidaires, nous faisons attention à rester tous ensemble, à aider ceux qui en ont besoin, à avancer au même rythme. Nous longeons un chantier, traversons un sous-bois et arrivons dans un quartier résidentiel. Pensant avoir semé la police, nous célébrons notre victoire : le blocage a fonctionné, il a duré, il n’y a pas eu de blessés ni autre souci majeur. Pour rentrer à l’université, nous prenons un joli chemin le long de l’Erdre dans un quartier résidentiel plutôt bourgeois. Sans le savoir, nous sommes suivis, nous nous en rendons compte assez vite et accélérons la cadence tout en restant groupés. La tension monte dans le groupe mais nous restons calme. Les agents nous rattrapent et nous empêchent d’avancer. Ils sont une vingtaine à pied, en armure, relativement calmes. Des renforts les rejoindront plus tard, la CDI, chargés de tension et de mépris.

Nasse et violences

Barrant la route, les CRS créent deux nasses : ils empêchent toute entrée ou sortie, cela dure environ une heure. Les passants font mine de ne rien voir. Rapidement, des étudiants alertés nous rejoignent en soutien et se font également prendre. Un témoin intègre restera tout le long de la nasse, prenant des notes et des photos malgré les tentatives des policiers pour l’en empêcher. Un des groupes reçoit des menaces. Pour l’aider le deuxième se fond dans le premier. Les policiers se protègent entre eux, empêchent les témoins de filmer. Les militants font preuve d’une solidarité et d’un courage exemplaires, nous sommes tous serrés, les bras entremêlés pour compliquer les extractions individuelles. Plusieurs sommations sont prononcées accompagnées de rires et de menaces. Voyant notre refus de leur obéir, les policiers se mettent à trois ou quatre contre chaque militant. Les méthodes sont violentes : coups de matraques, de poing, de pied, de genou. Ils tirent certains jeunes par la nuque, en traînent par terre. Nous tentons de résister tant bien que mal mais la fin est inévitable : un à un, nous sommes séparés, méprisés, humiliés, bousculés, insultés, parfois frappés. La violence de la répression atteint son apogée lorsque cinq agressions sexuelles sont perpétrées. La nasse est séparée de la zone de fouilles par une barrière qui peut être contournée mais nous sommes tirés par en dessous ou jetés par-dessus comme du bétail. Nous sommes individuellement insultés pendant la fouille, nos affaires sont abîmées (lunettes, vêtements, etc.). Ceux qui n’ont pas leurs papiers d’identité sont mis sur le côté et seront plus tard gazés lorsqu’ils réagiront face à des violences, les autres relâchés après avoir pris des photographies de leurs cartes. Un camarade est arrêté pour avoir refusé de lâcher son drapeau. Intimidation, humiliation et peur deviennent les armes honteuses des « gardiens de la paix ».

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