Unités et Constats

Deux poids, deux mesures


Usant des artifices constitutionnels, le gouvernement a passé en force la réforme des retraites, sans vote du corps législatif hormis un vote du Sénat, chambre dont le rôle historique est de faire œuvre de réaction. Crispant les corps sociaux, sans s’inquiéter des conséquences à long terme. Cette réforme vise officiellement à mettre à l’équilibre les comptes des caisses de retraite. Il s’agit de trouver une dizaine de milliards d’euros sur x temps. On cherche, comme d’habitude, des sous.

Mais qu’est-ce qu’un sou ?

La monnaie est à l’origine une unité de compte visant à faciliter les échanges. Échanger un poireau et une grenouille est malaisé, en revanche si un poireau vaut 50 unités et une grenouille 30, il est plus facile de s’échanger des produits. Le problème est que cette unité de compte ne peut être utilisée que si chacun lui fait confiance. Il faut qu’elle ait la même valeur pour tous. C’est pourquoi on a utilisé des objets rares (coquillage, sel, or…). Cet objet rare s’intègre généralement dans un système culturel au sein duquel tous les individus font confiance à cette unité. La monnaie n’a pas de valeur intrinsèque (l’or est une matière dont la seule propriété utile est la conduction électrique). Elle ne vaut que ce qu’elle nous permet d’obtenir. Sortie de son référentiel culturel, elle perd tout son sens. C’est une unité qui ne se base sur rien de tangible. Alors évidemment, dans une économie et donc (sic) une culture globalisées, plus personne ne parle de fève de cacao et de coquillage. On pourrait dire que le yen, le dollar et l’euro les ont remplacés, mais sur quoi est basée leur valeur ? En occident, la valeur de la monnaie a longtemps été liée à sa masse en métal précieux. Puis, lors de la révolution industrielle, les besoins du système de production/exploitation capitaliste ont fait développer aux États le système de l’étalon-or. Les banques centrales assurent à chacun que leur morceau de papier portant l’inscription 10 francs est échangeable à tout moment contre x onces d’or. Ce système ne résiste pas aux dépenses engagées pour la Première Guerre mondial : la France et le Royaume-Uni tentent de rétablir le système mais après la Seconde Guerre mondiale, le système n’est plus viable. Les deux tiers des réserves d’or mondiales sont possédées par les USA qui instaurent le système de Bretton Woods : toutes les monnaies sont échangeables en dollars qui lui, est convertible en or. Ce système, taillé pour l’hégémonie des USA (Keynes proposa un autre système à Bretton Woods…), fut suspendu unilatéralement par les USA en 1971, après les chocs pétroliers qui mettent fin au pétrole bon marché. Depuis, les monnaies fluctuent librement sur le marché des changes. Elles s’apprécient et se déprécient en fonction des politiques économiques menées par les Etats (tips : il vaut mieux être en accord avec les préconisations de l’OMC/GATT (ancêtres des traités de libre-échange type TAFTA)), la principale variable étant tout de même le taux directeur des banques centrales. Leur valeur est donc, comme tant de choses, établie minute par minute par le marché spéculatif. On voit ici, à quel point ce que représente cette unité est fluctuant. Alors là, on pourrait ajouter un paragraphe sur la pertinence éthique de laisser une valeur aussi centrale dans nos sociétés aux mains des agences spéculatives, parasite suprême parmi la bourgeoisie exploitante. On pourrait en ajouter un autre sur les faiblesses structurelles de ce que l’on nomme science économique (orthodoxe, car celle-ci est quasi hégémonique) : discipline hautement sociale qui se veut mathématique. Basée sur les hypothèses fabuleuses de la concurrence pure et parfaite, cette étrange chose se veut capable d’apporter des indications sur la marche que devraient suivre nos sociétés alors qu’elles ne savent produire que de l’aveuglement. (Par exemple, la croissance du PIB est basée sur une augmentation de la production, ce qui la rend incapable d’intégrer la notion de sobriété). Cela étayerait mon propos, mais là j’ai pas le time, j’ai un exam la semaine pro.

Mais comment font les autres ?

En revanche, reprenons le raisonnement à la fluctuation de l’unité monnaie. On peut comparer ce flou, qu’on pourrait qualifier d’artistique si ce que la monnaie représente n’était à l’origine de tant de misère, à la rigueur des unités développées par les disciplines physiques. En effet, les physiciens se donnent un mal de chien : un mètre, c’est une fraction du méridien terrestre. Un cube d’un mètre de côté contient mille litres d’eau, cette eau a alors une masse de 1000 kg. Pour transmettre une accélération d’un mètre par seconde à ce cube, il faudrait à chaque fois une force de 1000 newtons. Un pascal mesurerait la pression exercée par une force de newton sur une des faces de ce cube. Bien foutu pas vrai ? Les unités physiques recensées dans le Système International sont liées entre elles, elles peuvent être retrouvées expérimentalement. Ces unités servent, comme la monnaie, à faire des constats. Par exemple, alors que le gouvernement constate un manque à gagner pour les caisses de retraite, les hydrologues constatent un niveau de remplissage alarmant des nappes phréatiques. Dans le premier cas, ce sont des euros, qui valent aujourd’hui une portion x du dollar, et demain une autre ; dans l’autre cas, ce sont des mètres cubes d’eau. Dans un cas on mesure… ma foi je ne sais… le repos mérité de travailleurs exploités ? Ou la santé de Bercy ? En tout cas dans le second on mesure de l’eau, H2O, élément chimique nécessaire à la vie de tout être vivant du système Terre. Dans un cas, on ne sait pas trop bien ce qui va se passer si on ne fait rien, Standards and Poor’s va nous enlever un A ? Les vingtenaires d’aujourd’hui n’auront pas de retraite ? Qui croit encore qu’ils en auront une au rythme où progresse le détricotage des acquis sociaux du CNR ? Dans l’autre, on sait assez précisément, pas d’eau : pas de blé, pas de blé : pas de pain, pas de pain… Non, pas de brioche Madame. À mon sens, il s’agit-là de deux constats d’un sérieux bien divers, qui auront des conséquences bien différentes. Il est malheureux qu’on perde tant d’énergie sur un sujet qui ne devrait même pas en être un au vu de l’urgence de la situation climatique. Notons que les climatologues prévoient une augmentation moyenne de la température du globe de 2.8 °C à l’horizon 2100 si on respecte les accords de Paris 2015, attendu qu’on n’en fout pas une, l’horizon est plus 2050, sans compter les effets de seuil (tipping point). Le Celsius n’est pas une unité SI, mais une dérivée, elle est définie comme la division en 100 parties de la différence entre la température de fusion de la glace et la température d’évaporation de l’eau. Mais c’est toujours mieux que le Fahrenheit qui est défini comme la division en 96 parties de la différence entre la température de solidification d’un mélange de chlorure d’ammonium et d’eau et la température corporelle d’une femme ! C’est le Kelvin qui est retenu par le SI, il est défini à partir du 0 absolu, en thermodynamique, c’est la température à laquelle l’entropie (la mesure du désordre d’un système) est égale à 0. C’est une température inatteignable sur Terre. Son unité est une fraction du point triple de l’eau (la température à laquelle l’eau existe parallèlement à l’état solide, liquide et gazeux). Mais elle est équivalente au degré Celsius, 2.8 degrés Celsius, c’est donc 2.8 Kelvin, mais 0 degré Celsius, ce sont 273 Kelvin. Le COR lui, fait ses prévisions en se basant sur des projections de croissance économique : on postule que la croissance sera de 1% en moyenne durant les 20 prochaines années. C’est-à-dire que la valeur ajoutée augmentera de 1% chaque année. La valeur ajoutée mesure, enfin est censée mesurer, la production nette. J’achète une planche 10 euros, j’en fais un banc que je revends 20 euros, la valeur ajoutée est de 10 euros. Mais en revanche si j’achète une planche à 10 euros, que j’attends que le prix du bois augmente, et que je la vends 20 euros, cela sera aussi compté comme de la valeur ajoutée, alors que je n’ai rien fait. Passons sur l’aberration qui consiste à considérer comme notre principal indicateur statistique une mesure de l’augmentation de la pollution (la pollution étant un sous-produit systématique de toute production). Encore une fois, on ne sait pas trop ce qu’on mesure, m’enfin on projette gaiement. Et on reforme en conséquence. N’est-il pas ridicule de se préoccuper du taux de croissance en 2050, sachant que celui-ci se préoccupe de la plus-value qu’a faite Jean-Pierre en revendant son appartement à Paris, alors qu’on pourrait se préoccuper de l’augmentation de la température en 2050, sachant qu’il s’agit de provoquer une modification climatique dont la seule équivalence que notre espèce ait connue est la dernière glaciation (fin 12 000 an AP), lors de laquelle tout le nord de l’Europe était couvert par une calotte glaciaire. Enfin bref, tout cela pour dire qu’on aura l’air malin avec le tableur Excel de Bercy à l’équilibre lorsqu’on sera en train de chercher désespérément de l’eau dans des villes-fours. 

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