La confiture


Henry est un étudiant en quatrième année de Médecine. Il vit à la cité universitaire l’Allée-des-Champs, dans la chambre numéro 013. Il a une attirance pour Clara : une autre étudiante, mais elle a l’air un peu bizarre.

Médecine lui réussit. Papa et Maman sont fiers. On sait que le grand garçon rapportera des sous à la maison. Henry aime se sentir admiré, il ne demande que ça. Admiration parentale, amicale, féminine : rien de mieux pour flatter son égo. Ce soir-là, dans la chambre 013 : pâtes aux épices avec viande hachée, en dessert, une banane et un yaourt. Repas de roi pour un étudiant, insatisfaction pour le licencié. Il voudrait tellement plus. Le poulet de Bresse des grands restaurants et pourquoi pas du caviar. Pas de doute, il aime la richesse, il a faim d’argent et de vivres abondantes. Pour cela, il donne et donnerait jusqu’à en crever. Payera la force du travailleur. 

Ce soir-là, Henry entend un bruit : TOC TOC. C’est brutal ! Net ! Qui sonne ainsi ? Il tourne la clé, « Encore ce connard de voisin ! » pense-t-il. Il ouvre. Tiens ! C’est la petite Clara : la jolie rousse aux belles boucles. Elle donne faim celle-là, elle ferait presque attendre l’arrivée d’un appétit plus grand. Éprise d’amitié, elle lui porte un objet. Il  la voit tendre un pot, un pot de confiture, mais pas n’importe lequel, celui-là est à la fraise. Il prend ça tel une invitation et espère qu’elle réponde aux signaux aguicheurs. Rien n’y fait. Innocente comme elle l’est, elle ne comprend pas les clins d’œil. Franchement décevante. Déjà elle ne vient pas pour baiser, la salope, et en plus elle donne un fichu pot qui ne sera jamais plus nourrissant que le repas de ce soir. D’un coup, il lui ferme la porte au nez. Ça dégage ! Kaaris pour calmer les nerfs, on finit son repas et au lit.

Mais ce soir-là n’est pas comme les autres. La lune est pleine et des courants chauds traversent les couloirs jusqu’à la chambre 013. Henry les sent venir. La climatisation y est pour quelque chose, c’est forcé. Il ne s’en occupe pas et dort. Cependant il fait un cauchemar. Terrible oui. Il revoit Clara, vêtue de blanc avec le pot. Elle l’ouvre et une fumée noire s’en dégage. Elle l’aveugle, lui brûle les yeux, la peau ! Les cheveux ! Entre dans son corps ! Sursaut brutal ! Il se réveille heureusement. Il est huit heures du matin.  Il sait qu’il a cours à neuf heures trente et se dépêche. Il ouvre et voit devant lui un truc au sol. C’est petit, il y a à côté un couvercle et il ressemble au pot de la douce aux cheveux de braises. Quelle conne, elle l’a oublié. Cependant il est vide, mais pourquoi… Il cherche en vain une explication et se rappelle qu’hier on lui a dit qu’elle allait sortir en boite avec ses copines. Ah, voilà l’explication ! Elle est revenue de sa soirée et l’a bouffé devant sa porte parce qu’elle était ivre.

Sûr de son idée, il quitte la chambre 013 et sort. Dehors, le ciel est noir. La météo n’avait-elle pas prévu une journée ensoleillée aujourd’hui ? Bah, la météo se trompe souvent. Quoi qu’il en soit, il avance, déterminé. Il en faut pour impressionner. Toujours l’Eau Bleu Chanel, toujours le manteau Vuitton, toujours souriant. Seule pensée qui domine, les résultats du semestre : obsédante et stressante. Il retrouve les copains. Ils se saluent tous jusqu’à ce que des regards méfiants effacent les mines enthousiastes. Tous ses amis obéissent à ce phénomène et tous ont les yeux tournés vers Henry. Un mouvement de recul se fait. À l’unisson, ils prononcent : « mec t’approche pas ! ». Ces mots troublent et affectent. Il ne comprend pas et pourtant tous finissent par s’éloigner. Mauvaise humeur peut-être. Qu’importe, Henry reste positif, mais encore faut-il qu’en cours tout se passe bien. Il entre et voit la salle lumineuse, les filles rire et la prof de bonne humeur. Une belle ambiance en somme. Un bonjour de sa part suffit pourtant à installer la froideur dans chacun des visages. Désormais les expressions affichent une méfiance cruelle et l’enseignante annonce d’un ton sec : « Vous n’avez pas validé votre semestre. » Quoi ! Déception et confusion. Non ! La raison doit être entendue ! Il proteste alors, s’exclame, s’énerve, mais pas de réponse. Puis il entend son portable vibrer. Vite, il se jette dessus, va sur la webmail et découvre avec horreur qu’il est viré de l’université pour fraude à l’examen. Quoi ! Impossible ! Toutes ces heures sacrifiées, les livres à la BU, les soirées ignorées, le cul de côté, rien que bosser et voilà qu’on l’accuse ? Impossible qu’il ait triché ! On l’a confondu avec quelqu’un d’autre. Oui, sûrement. Midi sonne et c’est l’heure de manger au RU. Il a faim mais son avidité le dégoûte toujours de la nourriture du Crous. Il rage du repas à trois balles. Pourtant son estomac gargouille sévèrement. Foncer vers les plateaux et prendre ce qui doit être pris. Au menu pourtant il se décompose : entrée fraises au sucre et à la cannelle, plat de résistance compote de fraises avec du poulet farci aux marrons et dessert des tartelettes aux fraises. Il comprend alors et sent derrière lui comme une présence. Il croit alors la reconnaître par un petit ricanement innocent, mais ne voit rien. Non, rien de particulier. Rien hormis une silhouette rousse qui l’observe en souriant.

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IL A DIT NON (ÇA TOURNE MAL)